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La très émouvante histoire d'Agathe et de Florentin

19 août 2007

Chapitre six

Chapitre 6 : Où Florentin subit la première épreuve et découvre ce qu’il y avait dans la Réserve

            Florentin ne prit pas le temps de contempler le duc s’éloignant vers un rayonnage lointain tout en réprimandant les occupants de la Médiathèque, et se précipita directement vers la Réserve. Comme il fallait s’y attendre, la porte en était fermée à clé. Florentin essaya de l’enfoncer, mais, malheureusement, la Nature avait préféré le doter d’un joli minois plutôt que des muscles nécessaires et la porte ne s’ébranla pas d’un pouce. Il revint alors vers le bureau du duc et décida de s’empare de son trousseau de clés.

            Mais déjà leur propriétaire s’acheminait vers le jeune homme, les bras chargés de livres…

            Florentin, bien que d’un naturel craintif, était transfiguré par l’amour que, déjà, il vouait à Agathe. Et, fièrement, il dit au duc :

-         S’il vous plaît, monsieur, il me plairait également de consulter quelques ouvrages sur les mosaïques romaines…

Quatre piles de livres, revues et autres illustrés s’accumulaient déjà sur le bureau lorsque Florentin trouva enfin les clés qui, enveloppées soigneusement dans du papier de soie, reposaient dans le double fond capitonné d’un tiroir. Ainsi, il fut nécessaire à Florentin d’envoyer C… chercher des livres sur la géométrie dans l’art hispano-mauresque, l’origine et l’évolution de la baignoire à pied de lion, l’archéologie des tessons de bouteille, et autres sujets plus passionnants les uns que les autres. Cependant, ce ne fut que lorsque le duc écumait ses rayonnages  à la recherche d’un ouvrage relatant les différentes étapes de la vulgarisation de la pensée transsubstantifique chez les moines bouddhistes du Moyen-Orient pendant le grand schisme de 1264 que Florentin réussit à trouver la clé qui ouvrait la porte. Après s’être assuré qu’elle s’entrebâillait bien, il voulu jeter les clés sur le bureau du duc ; mais elle décrivirent une parabole imprévue et elles allèrent tout droit s’écraser dans sa corbeille à papiers. Sans s’en soucier le moins du monde, Florentin s’introduisit  précipitamment dans la Réserve et ferma la porte derrière lui.

Des livres. Rien que des livres. Florentin oublia un instant sa peur, ses résolutions, et même, sacrilège !  la pensée d’Agathe, tellement ce qu’il y avait dans la Réserve était beau. Tous les livres étaient recouverts de gemmes, reliés avec les peaux les plus précieuses, dorés à l’or fin… Cependant, l’émerveillement de Florentin se tempéra vite. Il remarqua que certains livres étaient enchaînés, d’autres encore étaient pressés entre d’étranges objets de métal.

Soudain, Florentin entendit un bruit qui provenait de derrière l’un des rayonnages. Le jeune homme s’immobilisa brusquement, la main sur une étagère. Derrière les livres, la chose progressait. Son souffle était bruyant, son pas lourd. Florentin se mordit la lèvre pour ne point défaillir de terreur. Et ce fut alors qu’il la vit.

La créature était enveloppée d’un long voile noir, et, à la place d’un visage, elle avait une surface hideuse et grumeleuse où deux billes noires  figuraient les yeux. Elle glissait vers lui, et tendit vers lui une main desséchée, prolongée de griffes terrifiantes. Il brandit le stylet dans un geste dérisoire pour se défendre.

-  Quel imbécile, pensa Emeline, qui transpirait sous son masque et son drap noir qui la grattaient. Il a oublié de le dégainer.

            La chose s’arrêta devant lui, se ramassa sur elle-même, comme prête à bondir. Florentin tremblait de tous ses membres et, sous sa chemise, trivial détail, le livres se poissait de sueur. Il voulut le sortir et le montrer à la créature, et fit un geste trop brusque ; elle gronda sourdement. Alors, tout doucement, il l’extirpa (le livre, pas la créature) de dessous sa chemise et le brandit devant lui comme un bouclier. Soudain son regard  accrocha une étiquette collée sur l’étagère en bois précieux : Livres de Mathématiques, y était il écrit. Il posa lentement le livre sur le rayonnage, sans quitter des yeux la hideuse créature, et recula avec précautions. Il  posait sa main moite sur la poignée de la porte lorsque la chose se précipita vers lui. Il ouvrit la porte, la claqua à la volée et s’enfuit en hurlant de la Médiathèque, poursuivi ………… par les imprécations de C… . Il dévala les escaliers, et, parvenu dans le hall, s’effondra sur un banc, le cœur prêt à éclater.

            Lorsqu’il eut reprit ses esprits, il sauta en l’air et cria : - Agathe, regarde-moi !

            Quant à Emeline, elle réussit à sortir de la Réserve par la porte de derrière avant que C… n’y rentre. Le pauvre duc ne sut jamais quelle formidable épopée s’était déroulée dans sa précieuse Réserve.    

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15 août 2007

chapitre cinquième

Chapitre 5 : Que l’on prendra garde de laisser hors de la portée des yeux innocents.

-         Ne vous énervez pas, monsieur, dit Emeline en élevant la voix et en adoptant son ton le plus lénifiant. Nous vous promettons d’être silencieux.

-         Bon, j’aime mieux ça, bougonna le duc de C… . Et il apostropha deux jeunes garçons qui faisaient trop de bruit à son goût en tournant les pages de leur ouvrage trop violemment.

Emeline sortit alors de son sac à main un livre extraordinaire.

Même Florentin,  qui n’était pourtant pas très cultivé, connaissait le célèbre « Terre-Hachée » de mathématiques : un livre rare et précieux dont il n’existait que trois exemplaires dans le monde. L’objet, recouvert d’un cuir jaune, bleu et prune, était lui-même d’une beauté dépassant l’entendement.

-         Voilà le livre que je lui ai « emprunté » il y a bon nombre d’années.

-         Ainsi, dit lentement Florentin,

la Réserve

est un trésor… Voilà pourquoi il refuse qu’on y pénètre… Il a peur pour ses livres… Normale folie de collectionneur…

-         Vous oubliez qu’il est fort difficile d’y pénétrer, et surtout…

Elle se pencha si près qu’une mèche de ses cheveux  frôla la joue de Florentin.

-         Il y a autre chose dans

la Réserve

Florentin recula brusquement.

-         En êtes-vous sûre ?

-         Rappelez-vous que j’y suis entrée.

Florentin était terrifié.

-         Un conseil, Florentin, dit-elle. Rendez-vous-y armé.

-         Vous, l’étiez-vous ?

-         Je le suis toujours, mon ami, répondit-elle en extirpant un stylet acéré de son corsage.

Le jeune homme la regardait, stupéfait.

-         Et encore j’en ai un autre* dans ma jarretière, affirma-t-elle, ce qui fit virer le teint de son interlocuteur au rouge pivoine.            

Elle lui tendit le stylet et le livre.

-         Tenez, je vous le prête. Bonne chance ! reprit-elle en se levant et en refermant son sac.

-         Hé, mais vous vous en allez ? s’écria Florentin.

-         Agathe a obtenu de moi que vous serez seul et bien seul, répondit-elle calmement. Et elle s’en fut, laissant Florentin effectivement… seul.

Comment décrire les tourments du jeune homme ? Ecartelé entre sa peur du duc et son amour pour Agathe, menacé de perdre son honneur et sa promise, il s’était recroquevillé sur lui-même en claquant des dents, les  yeux fixes.

Il resta ainsi longtemps, terrifié par ce qu’il allait devoir accomplir. Mais la pensée d’Agathe se fit si forte dans son esprit qu’il sortit de son hébétude, se leva lentement, passa le stylet à sa ceinture et, tenant le livre dissimulé sous sa chemise, se dirigea vers le bureau du duc.

-         Excusez-moi, monsieur…

-         Qu’y a-t-il ? demanda son interlocuteur d’un ton fort peu amène.

-         Eh bien je ….je  voudrais trouver un… un livre sur…

-         Sur quoi ? l’interrompit le duc qui commençait à s’impatienter.

-         Sur les fugues de Bach, répondit Florentin sans réfléchir.

-         Je vais essayer de vous trouver ça, bougonna C… en se dégageant de son fauteuil.

* Lecteur, es-tu bien majeur ? Si tu ne l’es pas, je te prierai d’aller à la ligne. Merci.

15 août 2007

chapitre quatrième

Chapitre 4 : Où Emeline donne à Florentin les trois ordres d’Agathe.

            Emeline prit une forte inspiration.

-         La première épreuve sera de pénétrer dans

la Réserve

du duc de C… .

-         Non ! s’écria Florentin. Non !

-         Silence, tous les deux, ou je vous expulse ! hurla C… de son bureau.

-         On dit que

la Réserve

est hantée, continua Florentin, à voix basse et d’un ton plaintif. On dit que le duc y enferme des âmes et que…

-         A-t-il réellement l’air diabolique ?

-         On dit que c’est l’Enfer de la bibliothèque. On dit qu’il y cache des ouvrages osés… Enfin vous me comprenez… chuchota-t-il en baissant chastement les yeux.

-         Je peux vous dire que toutes ces rumeurs sont mal-fondées puisque j’y ai moi-même pénétré il y a bien longtemps, sans qu’il le sache, pour y emprunter un ouvrage de mathématiques… Que je lui ai point rendu. Vous devrez l’y remplacer… A son insu.

                 Florentin était devenu blême et claquait des dents.

-         Agathe, murmura-t-il, les yeux dans le vague. S’il faut que je fasse cela pour toi, je le ferai. Dussé-je mourir par la main de C…, je mourrai pour toi…

-         La deuxième épreuve sera de persuader quelqu’un. Connaissez-vous la baronne de N…?

-         Je crois que tout le monde la connaît ici-bas… Elle est célèbre pour faire souvent, le lundi soir, des causeries sur les auteurs latins. Je ne m’y suis jamais rendu, mais l’on dit qu’elles sont mortellement ennuyeuses …

-         Vous devrez vous rendre à ces causeries et signifier doucement à la baronne que lorsqu’elle parle des Latins elle est un peu emm… enquiquinante, et tenter de la faire aller un peu plus vite… Je suis sûre qu’elle y gagnerait.

-         Est-ce si facile que cela ?

-         Vous n’y avez jamais assisté. Vous ne lui avez jamais parlé.

-         Et la troisième épreuve ? …

-         Sera seulement d’accomplir une action belle et généreuse…Aider un être en difficulté, par exemple.

-         Je me rendrai dès demain chez le marquis d’Arsunian, mon fidèle ami. Il me recommandera certainement quelque pauvre ouvrier à qui je pourrai porter secours. Est-ce là tout, madame ?

-         Ce ne sont pas des épreuves de moindre importance, mon cher ami.

-         Oh ! N’est-il point normal de souffrir un peu pour celle que l’on aime, surtout si elle est la plus belle et la plus généreuse du monde ? N’est-il point normal d’endurer pour elle de justes tourments ? N’est-il point normal de mettre pour elle ses plus profondes craintes à nu, comme elle me le demande en m’ordonnant d’affronter C… dont j’ai si peur ? N’est-il point normal pour elle d’être doux comme elle est douce, et pour elle de sauver quelques jeunes gens de l’ennui le plus fatal ? N’est-il pas…

-         Dehors ! chenapans ! cria C…, semblable à un monstre terrifiant sorti des âges anciens. Les conversations privées sont interdites à

la Médiathèque

!

15 août 2007

chapitre troisième

Chapitre 3 : Où l’on découvrira un étrange bâtiment

Si le lecteur ne s’est jamais rendu à la très célèbre bibliothèque du duc de C…, nous nous verrons obligés de vous livrer la description de l’aspect qu’elle empruntait à l’époque de cette histoire.

Aujourd’hui, le duc de C… a pris sa retraite et occupe désormais toute l’année son somptueux palais vénitien, dont nous pensons que le lecteur a déjà entendu parler. Mais, en ce temps là, il n’avait pas encore cédé la gestion de sa bibliothèque à sont héritier direct. Au contraire, il veillait sur ses livres comme Harpagon sur sa cassette d’or.

Figurez-vous, cher lecteur, une pièce sombre, vaste et feutrée, pleine de rayonnages resserrés et de minuscules tables de consultation…Dès l’entrée, le visiteur butait sur l’imposant bureau du propriétaire, qui occupait (le bureau, pas le duc) un très large espace et qui permettait de surveiller toute

la Médiathèque

(c’était ainsi que, pour une raison connue de lui seul, C… nommait sa chère bibliothèque). Où que portât son regard, le malheureux visiteur ne voyait que des livres, des livres, des livres, anciens ou modernes, bien traités ou dépenaillés, dans toutes les langues, traitant de toutes les disciplines.

Le propriétaire de ce trésor d’érudition, le duc de C…, pouvait alors avoir au moins une cinquantaine d’années. C’était un homme trapu et rougeaud, aux cheveux gris pommelés, dont la physionomie, malgré ses manières rudes, respirait  toutefois la finesse et la distinction.  Il n’avait que deux seules manies : c’était de vouloir que dans sa Médiathèque régnât un silence parfait, et d’interdire l’accès de

la Réserve. Nul

n’y avait jamais pénétré. De cet endroit on ne voyait jamais que la porte, fermée à clé, dont le duc défendait jusqu’à l’approche…

            Mais le jeune Florentin n’y songeait même pas en pénétrant dans ce lieu du savoir, tout à la pensée de la belle dame dont il allait, nous le rappelons, recevoir trois épreuves qui lui montreraient toute la force de son amour.

Il était vêtu ce jour-là d’un pantalon noir et d’une chemise blanche qui faisaient valoir la minceur de sa taille. Cette tenue simple et sobre montrait cependant toute l’élégance naturelle de celui qui la portait.

            Il trouva Emeline assise sur l’un des moelleux fauteuils jaunes du département des revues illustrée et s’installa en face d’elle, tout frétillant d’impatience.

            Emeline releva la tête, car elle s’était penchée sur un magazine, alla le remettre avec milles précautions sur son rayonnage et s’assit de nouveau face au jeune homme.

-         Je lui ai parlé…

-         Sait-elle ? murmura Florentin d’une voix mourante.

-         Oui. Et pour vous elle a décidé, comme vous le savez, de trois épreuves afin de sonder votre caractère. L’une éprouvera votre courage, l’une votre tact et votre intelligence, et la dernière seulement votre bonté.

-         Quelles sont-elles ? Oh, par pitié, dites-le moi ! dit vivement Florentin, mais sans trop hausser le ton, à cause du duc qui lorgnait de leur côté.

25 juin 2007

Chapitre second

Chapitre 2 : Où se déroule une scène émouvante.

Il prit subitement la jeune fille par la main et l’entraîna dans un des salons de l’Ambassade. La pièce, aux murs gris perle, meublée avec sobriété, reflétait la plus parfaite incarnation du goût et de l’élégance en vogue à cette époque. Florentin s’assit et pressa sa compagne de questions.

- Son nom ?

- Agathe

- Son âge ?

- Le mien.

- A quoi ressemble-t-elle ?

- Elle a les cheveux blonds comme les blés… Les yeux bleus comme le ciel… Le visage d’un ovale si pur et  les traits si délicats qu’on pourrait la confondre avec les madones des peintres italiens… Vous iriez bien ensemble, continua-t-elle rêveusement. Vous êtes brun, elle est blonde… Vous avez la peau blanche et elle l’a rose comme… euh … et bien, une… rose…

Mais le jeune homme ne l’écoutait pas. Ses traits étaient frappés de la plus pure extase.

- Un ange ! s’écria-t-il soudain en tombant à genoux, le visage tourné vers le plafond tout blanc de la pièce. Oui, c‘est un ange, je le pressens ! Ce que vous m’en dites la fait paraître déjà si belle, si pure… Et son nom ! Le plus doux du monde …

Il se tut un moment, plongé dans une si profonde rêverie qu’il ne prêtait plus attention à Emeline.

-Oui, Agathe, murmura-t-il, le visage inondé de larmes de béatitude, Agathe, je t’en réponds, tu seras ma femme !

Et puis il se releva car il voyait bien que son interlocutrice risquait de le trouver ridicule (et il l’était vraiment).

- Comment pourrai-je… la retrouver ? lui demanda-t-il

- Elle ignore tout de votre amour, pour l’instant.

- Je n’y avais pas pensé… dit-il avec embarras.

- Mon ami, lui répondit la jeune fille, elle veut éprouver votre passion.

- Bien sûr, souffla le jeune homme avec un sourire. Une fille si… rare et si belle a le légitime droit de savoir si je suis digne d’elle…

- Elle vous imposera trois épreuves. Je ne sais point encore lesquelles. Vous…

- Trois épreuves… chuchota Florentin. Comme les chevaliers des temps anciens… Oui… Pour elle, je ferais tout… Je la servirai et porterais ses couleurs… Agathe… Agathe…

Il regarda Emeline avec un regard encore embué de larmes, mais si rêveur et si volontaire…

- Quand saurai-je en quoi elles consistent ?

- Je lui parlerai et… Demain, à six heures, à la bibliothèque du duc de C... . Je vous rapporterai ses propos.

- J’ai hâte, dit-il. Au revoir.

Il pensait tellement à Agathe qu’il sorta en oubliant de serrer la main d’Emeline.

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25 juin 2007

Première partie: De la difficulté de trouver une femme quand on est jeune et beau - Chapitre premier

Chapitre 1 : Ou un père-noël joue un grand rôle

La fête battait son plein dans la magnifique cour des Préfa, joyau d’architecture dont la très célèbre Ambassade de Franco-Allemagne avait bon droit de s’enorgueillir. On était en plein

midi

et, malgré la saison hivernale, l’air était si doux que le tendre gazon et les allées goudronnées étaient ça et là parsemées de femmes en grande toilette et d’hommes en habit discutant avec animation.

Soudain, le silence se fit : le jeune Florentin venait de pénétrer dans la cour des Préfa. Resté sur le haut du perron de béton poli qui surplombait la foule, l‘éphèbe laissa vaguer un regard mélancolique sur les groupes qui s’étaient après un bref silence de déférence remis à converser.

Florentin avait dix-sept ans et s’épanouissait dans toute la fleur de sa juvénile beauté. Il impressionnait les jeunes filles par la sveltesse de sa taille fine et souple comme un jonc et, sanglé dans un habit noir de bonne coupe, il montrait à tous la perfection de sa silhouette longiligne et nerveuse. Ses longs cheveux mouillés, noirs comme la nuit, flottaient librement sur ses épaules, et contrastaient avec la blancheur de sa peau et l’incarnat violent de ses lèvres. Il avait, comme à l’ordinaire, un maintien fier et hautain ; mais sous l’arcade de ses sourcils finement dessinés, brûlait un regard d’une tristesse ardente et infinie…

Pendant que, ses yeux noirs dans le vague, Florentin contemplait la société conviée à la réception, une jeune fille vêtue d’une robe de mousseline blanche avait gravit les quelques marches qui les séparaient.

- Bonjour, Florentin ! lui dit-elle amicalement, en lui tendant la main.

- Bonjour, Emeline, répondit-il d’un ton évasif en détournant la tête.

- Florentin, n’auriez – vous pas reçu un père Noël en chocolat dont la carte n’était pas signée* ? demanda Emeline d’un air espiègle.

- Oui, cela est vrai, dit Florentin en relevant brusquement la tête.

Emeline continait de se taire, le sourire aux lèvres…

-Vous Emeline ! Vous ! s’écria soudain le jeune homme avec un ineffable accent de joie.

L’autre partit d’un grand éclat de rire.

- Non, ce n’est point moi, répondit-elle une fois calmée. C’est l’une de mes amies

- En êtes-vous sûre ? lui demanda Florentin dont les joues pâles, sous l’effet de l’animation, s’étaient colorées d’un vermeil des plus vifs.

- Elle en parlait déjà un mois avant de vous envoyer ce père-noël…

- Elle… Est-ce que… bégaya le jeune homme, suffoqué par l’émotion. Savez-vous si…

- Elle vous aime, affirma son interlocutrice, et son regard était si droit et si franc qu’il n’était point permis de douter de ses dires.

- Si elle m’aime, je l’aimerai aussi ! s’écria-t-il dans un élan de bonheur. Si elle a pu garder en elle l’espoir que je la remarquerai un jour, alors je l’aime ! Imaginez vous ce qu’elle a dû subir ! Me croiser chaque jour, me voir, ne pas oser me parler… Et dire  que je ne l’ai pas su ! Que je n’ai jamais remarqué…

Un changement subi s’était opéré dans l’attitude du jeune homme. Il n’était plus ni taciturne ni mélancolique : au contraire, ses cheveux étaient désordonnés, sa poitrine se soulevait et s’abaissait au rythme précipité de sa respiration et, sous les longs cils noirs, ses yeux brillaient d’un éclat nouveau.

*C'est en effet un usage en Franco-Allemagne que de s'envoyer les uns aux autres des Père Noël en chocolat accompagnés de petites cartes de voeux au moment des fêtes.

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La très émouvante histoire d'Agathe et de Florentin
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